La mer de lait

Indonésie - Message posté le

Le début de la course est annoncé dans un coup de canon retentissant. Les nombreux bateaux foncent vers la ligne de départ, et nous passons juste après Even Karma qui nous grille de très près. Passer cette ligne en premier compte beaucoup pour l’honneur du bateau ! Le vent est faible de NE mais se renforcera plus tard pour durer jusque la fin en alizé du SE, donc au portant. Les trois jours de navigation sont très intenses avec souvent le spi à gérer. Je suis à ma place au ‘grinding’, la manivelle centrale, et les cinq autres de mon équipe de quart (la meilleure évidemment !) gèrent le reste. On change d’équipe toutes les trois heures et nous donnons à fond à chaque fois. Tout le monde veut la victoire, on n’est pas là pour des prunes ! 

« La plaisance c’est l’pied », tu parles ! Un vrai boulot de galériens à griller au soleil, jamais confort, se lever en milieu de nuit dans le froid humide et obéir aux ordres, c’est beau le sport ! 

Mais j’aime cette expérience, on s’y plait d’ailleurs tous, chacun à sa raison d’être là. 

Une nuit, à ma prise de quart, on me prévient d’un spectacle étrange au dehors. Je reste le souffle coupé : la mer est blanche, illuminé par en dessous jusqu’à l’horizon… La mer de lait ! J’en avais entendu parler mais comme on entend une légende, un conte de fée auxquels on ne prête guère attention. L’océan, la Nature n’a pas fini de nous surprendre. Des heures durant nous naviguons dans cette atmosphère étrange, sans parler, nos esprits respectent trop la magie pour la briser en paroles inutiles. 

Dernières heures, tout le monde sur le pont, il faut doubler Antipodes au timing, il est déjà arrivé et nous avons quelques heures ‘d’handicap’ pour le battre. On se donne tellement à fond que je me ruine le coude, tendinite qui persistera des mois durant. Deuxième sur la ligne, deuxième au podium dans notre catégorie, c’est Gameset finalement qui remporte la victoire sur ‘handicap’. 

Nous fêtons ça dignement, les gaillards m’avaient montré déjà à la première course à Dilli de quelle façon il fallait procéder: boire le plus et le plus vite possible. Soit. C’est la course, soyons marin !

Quelques jours dans un univers qui n’est pas le mien, hôtel de luxe, de réceptions en réceptions, de taxis en tuk tuk pour gérer la prochaine navigation : le convoyage du bateau jusque Bali puis Singapour. Des blagues se jouent entre équipier jusqu’à retrouver une poule dans notre chambre d’hôtel 5 étoiles …. Merci les copains !

Nous sommes 4 alors au lieu de 12 pour cette partie là. Beaucoup plus relaxe, mais intégralement au moteur hélas. Etant  techniquement sur un voilier, ma règle d’obligation de moyen à mon projet est respectée mais ce n’est vraiment pas ma philosophie. Le voilier non plus n’a pas l’air d’aimer car il décide de cramer littéralement l’alternateur  Nous aurions pu avoir un incendie à bord ! C’est évité de justesse grâce à la présence d’esprit de Tom, notre bon skipper dont je n’arrive toujours pas à comprendre un traitre mot de ce qu’il mâchonne dans son maudit accent kiwi-des-patates ! On finit par pas beaucoup s’apprécier, mais restons pro.

Les réparations devront attendre à Bali plusieurs semaines, Nat et moi, équipiers de fortune, sommes donc libérés de nos obligations sans autre ménagements. Tant pis tant mieux, cette équipe commençait à me gonfler. Nat et moi cherchons donc un nouvel embarquement pour Singapour. Elle par plaisir de naviguer, moi pour le but toujours aussi poétique et absurde que d’aller par moyens honnêtes, non motorisés vers mon but, l’Asie, Singapour !