Robinsonades à Makemo, Tuamotu

Polynésie Française - Message posté le

Nadège écrit :

« Voila presque un mois que j ai quitté Auckland pour rejoindre Olivier à Tahiti.

De là nous embarquions sur le voilier de luxe "Lady K" où nous sommes embauchés comme "mousse".

En échange de petits travaux sur le voilier, l'équipage du Lady K nous loge, nous nourrit et nous fait traverser le passage du Pacifique entre Tahiti et l'archipel des Tuamotu, sur l'atoll de Makemo.

Ici, nous tentons de réaliser un vieux rêve, vivre comme Robinson et Vendredi. Mais tout n'est pas si facile. Nous qui nous prenions pour des aventuriers avertis, nous voilà mis a rude épreuve.

Au bout de deux semaines, nous pensons avoir atteint notre objectif, notre idéal de confort : une plage déserte, un hamac, boire l'eau de pluie récoltée, se nourrir de ce que nous offre la nature (du poisson, des crustacés et de la noix de coco à tout va), lire, se lever et se coucher avec le soleil....

Pourtant, l'arrivée sur l'île ne fût pas évidente, et l'installation encore moins.

Il aura fallu trois jours de navigation houleuse pour atteindre la "Terre". Trois jours rythmés par les quarts : on surveille l'horizon quatre heures, on va dormir quatre heures, pour retour à la surveillance de l'horizon pendant quatre nouvelles heures. Et ainsi de suite...

Arrivés sur l'île, les locaux restent distants et peu motivés à nous apprendre à pêcher au fusil, à nous pauvres citado-montagnards ignorant tout du monde sous-marin.

Afin de faciliter notre intégration, nous participons à une course de "porté de fruits" : courir à travers le village pieds nus, chargé de 15kg de fruits pour les femmes et 30kg pour les hommes. Notre objectif n'est pas de gagner mais bien de participer. Surtout quand on voit le gabarit des polynésiens et le nôtre, on évite de faire les malins.

Mais au moins on les fait bien rire (ça c'est un point de plus pour nous intégrer) et on se présente (nous devons être les premiers ‘popa’as’ (français de France) à participer à cette course traditionnelle)...

Et puis, c'est parti, course très dure, mais l'ambiance est euphorique. Contre toute attente, j'arrive deuxième chez les femmes… et Olivier premier chez les hommes !

Incroyable disent-ils!! « - Des popa’as ont gagné la course ! ». Le message court à travers l’île comme une traînée de poudre.

Depuis, tout à changé. Nous, que le monde insulaire ignorait il y a deux jours, sommes aujourd'hui salués chaque jour dans la rue d'un "Hey ! Champion!!".

Tout le monde semble maintenant nous connaitre et surtout nous apprécier: on nous offre à boire, des fleurs, entrée gratuite en boite de nuit....

Toujours dans l’idée d'améliorer notre intégration, nous proposons nos services bénévoles à un camp de jeunesse chrétienne, les MEJ (Mouvement Eucharistique des Jeunes) installés pour trois semaines à Makemo.

Ces jeunes Tahitiens à la vie parfois bien cabossée, nous apprennent énormément, autant en techniques de survie (pêche diverses, utilisation de la noix de coco, fabrication de panier et palmes de coco) qu’en terme de valeurs humaines qui paraissent si difficiles à vivre en métropole.

L'exemple qui nous a le plus touché est le cas des ‘Mahus’ et des ‘Rérés’ : des garçons qui ont été éduqués comme des filles par leurs parents.

Arrivés à l'adolescence, ils se féminisent autant dans leur tenue vestimentaire que dans leur comportement. Ce sont de véritables transsexuels, sans pour autant pouvoir faire une analogie culturelle avec le milieu métropolitain. En Polynésie c’est un fait extrêmement courant et surtout traditionnel.

Nous étions très curieux de voir comment ils étaient acceptés par les autres jeunes, par l'église et comment ils vivaient leur ambigüité. Contrairement à ce que l'on peut voir en Europe, ils n'ont apparemment aucun problème en Polynésie, aucun signe de ségrégation de la part de la population, du clergé ou des administrations.... nous sommes très heureusement surpris, et à dire vraie bluffés par cette tolérance si évidente ici et pourtant si difficile à appliquer en France.

Séquence émotion : Olivier s'ai coupé le pouce gauche, tout comme moi il y a des années de ça. Nous formons maintenant l'équipe des "Sans pouce". Pour deux hémophobes comme nous, cet accident fut une des plus dures épreuves de ce voyage. Ca va être plus compliqué pour faire du stop maintenant…

Nous étions avec nos jeunes de la colonie, sur un coin désert et reculé de l’atoll, à couper des feuilles de cocotier pour faire des assiettes. Le coup de couteau est parti d’un coup et le bout de pouce tombé dans le sable. Un peu de pub pour Leatherman, la coupure est parfaitement nette !

Douleur. Olivier a mal mais surtout il est choqué (tout comme moi) de voir cette partie de lui même détachée de son corps, gisant par terre, du sang plein les doigts.

Bien sûr en bons aventuriers nous n'avions pris aucune trousse à pharmacie avec nous. John le cuisto tahitien se charge des premiers soins (j'en aurais moi-même été incapable, à deux "doigts" de l'évanouissement). Technique du coin : du tabac sur la plaie pour arrêter l'hémorragie et un bout de palme de cocotier en guise de bande. On ne peut rien faire de plus pour le moment, il faut attendre jusqu'au soir de rejoindre le village, pour désinfecter et soigner le moignon.

Pour vous rassurer tout de même le cœur n’est pas touché et il lui reste un bras…, même si la jambe est paralysée, on ne va pas en faire un drame !

Non, seul un bout de peau et de chair sont tombés, beaucoup plus d’émotion que de mal. Olivier est 98,7% entier…

Les enfants qui nous prenaient pour des vrais durs sont très étonnés de notre réaction face au sang. Nous moins, nous savions déjà qu’on était des faiblards à la moindre goutte de sang. Il faut voir notre réaction face à une araignée menaçant d’entrer dans la tente :) !

RFO, Radio polynésienne. Ce matin, on ne parle que des violences qui secouent Villeneuve (Grenoble), où j’ai vécu jusqu’à mes 20 ans et où résident encore ma famille. Il nous semble irréel d'avoir des nouvelles du quartier depuis ce coin si reculé à l'autre bout de la planète. Les médias ont bien travaillé à alimenter mon angoisse mais heureusement un simple coup de fil à la maison me rassure sur la réalité des faits, et l'état actuel de la situation : Aujourd’hui, pas d’hélicoptère, ni de coup de feu, seul le local poubelle a brulé chez nous, rien que de très normal !!! »

Olivier écrit :

Eclipse

Le 11 juillet, se passe un événement très spécial dans tout le Pacifique Sud : « - la finale de la coupe du monde de football. » me disent les polynésiens… Oui c’est vrai mais en fait c’est pas ça. Je parle d’une éclipse totale du soleil.

J’en avais jamais vu de totale moi d’éclipse, ni Nadège non plus d’ailleurs. C’est l’occasion, nous sommes en place, lunettes « spéciales éclipses » parées, les pieds dans le lagon, appareil photo en main, le spectacle peut commencer.

7h30, le soleil commence à être mangé en haut à gauche, c’est parti ! Il faudra attendre 9h36 pour le maximum.

En fait nous sommes éloignés de quelques kilomètres de la bande ‘éclipse totale’. Pas de bateaux pour nous y emmener alors nous nous sommes installés dans une partie sauvage de l’atoll pour profiter au mieux de l’événement. Nous l’aurons à 99% ici, c’est déjà pas si mal.

Les nuages passent de temps en temps, mais le phénomène est courant pendant les éclipses. Le mauvais temps se mets de la partie à cause de l’abaissement local de la température due à l’arrêt de l’ensoleillement. Notre bonne étoile ne nous lâche pas cependant car nous voyons l’instant rare où le presque noir se fait, seul un très fin croissant de soleil fait encore référence à l’astre du jour.

Cette obscure clarté qui tombe du soleil (merci Corneille) prend un effet curieusement métallique, les tâches de lumière entre les ombres prennent la forme du croissant de soleil.

Deux ans de vacances.

Ce 11 juillet c’est jour de fête pour moi. Voila deux ans jour pour jour que je quittais le domicile familial à Grenoble. Pour marquer l’événement, nous avons trouvé quelques boites de Tartiflette bien méritées.

Me viennent alors en mémoire ces deux années durant lesquelles j’ai traversé l’Atlantique et la moitié du Pacifique à la voile, l’Amérique du sud et un bout de l’Europe Occidentale à vélo.

Deux années où vous aussi chers lecteurs, m’avez suivi, encouragé, m’avait permis d’aller continuellement de l’avant en me donnant le cœur de ne pas abandonner. Merci.

Deux années aussi passés en compagnie de ma bonne vieille bécane, le Baroudeur, unis ensemble pour le meilleur et pour le pire. Moitessier disait de son bateau qu’il avait une âme, je dirais de même pour ce bon compagnon à deux roues qui ne m’a jamais lâché.

Bon anniversaire à nous tous ! Si vous êtes solidaires, mangez une tartiflette à ma santé, ça ne peut pas vous faire de mal…

Le 14 Juillet en Polynésie est aussi fête nationale, forcément. Mais nous autres métropolitains ne le fêtons pas pendant un mois. Les polynésiens si. Quitte à organiser des réjouissances, autant prendre tout le mois de Juillet et en faire un événement culturel majeur. C’est le Heiva, festival polynésien de danse, de chants et de sports traditionnels.

Tout le mois durant, des groupes viennent compétiter en chants et en danses, mais aussi dans les sports comme le va’a (pirogue à 2 flotteurs), le lancé de javelot ou bien encore le porté de fruits.

Le 14 juillet nous assistons quand même en plus à un défilé, mais loin d’être militaire ce sont les paumutu défilant en chemises et robes à fleurs, des couleurs joyeuses partout ! Ils chantent l’hymne nationale en français et tahitien, sur des rythmes de guitares et de ukulélés, un vrai bonheur pour Brassens qui ne resterait pas dans son lit douillet ce jour là s’il vivait à Makemo le bougre…