Traversée de Panama aux Galápagos

Galapagos - Message posté le

Le 30 mars à 6h30 du matin, c’est l’heure.

Enfin ! Celui-ci fait un juste écho au « enfin » lancé à mon départ de France.

Le moteur tourne, nous levons l’ancre pleine de boue odorante. L’hélice bat les eaux du Pacifique, nous tournons le dos à Panama, à l’Amérique et faisons cap au large.

Une fois l’île de Taboga passée, le vent se fait sentir et nous hissons victorieusement la grand-voile puis le génois. Nous sommes au grand largue, la mer est plane, le vent est franchement Nord, 12 nœuds.

La traversée jusqu’aux Galápagos nous prendra 7 jours. J’en garderais un excellent souvenir.

Nous apprenons doucement à nous connaitre avec John et Sher dans le contexte très spécial d’une traversée de la voile.

Il faut dire que la vie n’est pas confortable en voilier. Dormir normalement est impossible dû aux quart de nuit, ça bouge tout le temps, on est constamment sujet à la gîte, et les nerfs sont mis à rude épreuve.

Des accès de claustrophobie peuvent facilement survenir, on désire sans pouvoir partir marcher, courir, s’éloigner de cet îlot de vie trop petit. En plus de ça surviennent les problèmes classiques d’une colocation mettant en œuvre des dynamiques psychologico-sociales, de gérer avec les façons de faire des autres, de leur manière différente de réagir.

Mais dès le début nous vivrons très bien ces problématiques.

Pourtant John et Sher sont plutôt éloignés du type de personnes avec lesquelles je m’entends bien généralement. Je suis donc heureusement surpris de notre bonne entente commune.

John nous explique tout ce qu’il fait sur le bateau de manière à ce qu’on puisse nous même le refaire derrière.

J’aime beaucoup sa manière d’agir, surtout que mon objectif est d’apprendre au maximum tout ce que je peux dans la traversée.

Naviguer est autrement plus important pour moi que simplement traverser un Océan « sans pétrole ». Naviguer a toujours fait partie de mon horizon imaginatif de mon enfance à travers notamment les œuvres de Jules Vernes que je dévorais sans faim.

Nous apercevons dauphins, oiseaux de mer si loin de toute terre, poissons volants par centaines, de magnifiques couchers et levers de soleil.

Le grand jeu consiste à essayer de démasquer le fameux rayon vert, apparaissant juste avant la chute du dernier arc solaire sous l’horizon. Les étoiles magnifiques brillent de tous leurs feux la nuit lorsque la pleine lune ne vient pas ternir leur éclat.

Je barre seul et alors seulement je ressens un sentiment de plénitude unique, une sensation d’être moi-même parfaitement. Le jeu social se termine, et quand tout le monde dort je deviens seul maître à bord.

Juste récompense à de grands efforts souvent vains par le passé, je prends un petit thon rouge dans ma ligne. Plus d’hésitations, il passe illico à la poêle, un vrai délice de fraicheur gustative.

Malheureusement le vent est très faible dans cette partie de l’océan que l’on nomme « pot au noir », ou zone de convergence intertropicale. Les navigateurs n’aiment pas trop cette région mais nous n’avions évidemment pas le choix que de la traverser.

John prends la décision de naviguer au moteur la plupart du temps. Bien sûr cette décision affecte directement ma thématique de voyage d’avancer « sans pétrole ».

Maintenant, je le vois d’abord comme une pure décision du capitaine sur laquelle je n’ai aucun poids. En qualité de « voilier-stoppeur » embarquer ou non sur ce voilier n’aurait changé en rien la décision de John. De surcroit j’aurais fait tout ce qu’il était en mon pouvoir pour mettre toutes les chances de mon coté pour avancer « sans pétrole » en choisissant le voilier plutôt que tout autre moyen pour traverser le Pacifique.

Je me dédouane donc de la responsabilité et par là même de l’utilisation de ce pétrole si « tricheur » à mes yeux. Et même si il y avait à redire sur la perfection de mon tour du monde, cette petite partie peut encore être assimilée aux exceptions obligatoires de parcours au regard des grandes distances déjà parcourues et à parcourir.

Sale nouvelle pour moi lorsque mon petit ordinateur crash complètement de façon totalement incompréhensible dès le premier jour de la traversée.

Je crains le pire, la perte de mes photos, vidéos et autres données importantes. Je le laisserais donc de coté toute cette traversée, attendant les Galápagos pour utiliser « l’arme lourde » informatique.

Mon souci premier vient aussi de ma promesse d’utiliser mon temps libre pour mettre à jour ce site tombé depuis quelques mois en jachère. Famille, amis, sponsors, inconnus passionnés, tous me mettent la pression pour remettre le site sur les rails. Il est vrai que ce site est ma seule fenêtre de mon aventure sur le monde moderne.

L’importance n’est pas négligeable à mes yeux, il permettra une réinsertion future, puis il est le lien avec ceux qui ont cru en moi. Merci à tous ceux qui ont suivi l’aventure jusque là.

Les quarts de surveillance sont divisés entre nous le jour et la nuit. Je prends de 4h à 6h du matin, puis de midi à 15h, et enfin de 21h à minuit. Relativement difficile de s’arracher des bras de Morphée les trois premiers jours, mais l’habitude vient avec le temps.

Au 5 avril, 2h du matin, John me réveille :

« -Olivier, on va passer la Ligne ! »

La ligne de l’Equateur est très proche maintenant. Sher est debout aussi, nous allons nous faire une petite fête au milieu de la nuit pour l’événement. C’est la troisième fois de mon voyage que je passe la Ligne Latitude zéro.

Un jeu se crée rapidement, suivre strictement la ligne en barrant manuellement, le GPS poussé à son zoom maximum pour seul juge de notre adresse. Chacun de nous va avoir de grosses difficultés à suivre une ligne précise sur l’écran du GPS. L’inertie d’un bateau de 15 tonnes sur l’eau nous envoie faire d’hilarants ronds dans l’eau.

Je trouve une solution, à fixer non plus l’écran mais une étoile à l’horizon comme repère fixe. S’approchant asymptotiquement de la Ligne, nous finissons par filer plein Ouest, le coté bâbord du bateau dans l’hémisphère Sud, coté tribord dans l’hémisphère Nord, une vraie schizophrénie géographique !

J’ai alors l’étrange sensation de prendre conscience et d’appréhender la planète entière de chaque coté. Comme si de me savoir sur l’exacte milieu du monde amoindrirai ses dimensions à quelque chose de fini et ainsi de palpable par l’imagination.

« TERRE ! TERRE ! »

Le même jour, perdant mon regard dans l’horizon brumeux, j’ai l’honneur et le plaisir d’apercevoir la terre le premier.

A 13h15 de ce 5 avril, nous jetons l’ancre dans le port de Academy Bay, sur l’île de Santa Cruz dans l’archipel des Galápagos.

Nous sommes fin prêt pour découvrir ce paradis naturel.