Australie - Message posté le
Sébastien écrit :
Pourquoi aime je voler ?
La sensation de liberté ? Non. Même s’il fait partie de la famille du "vol libre" la liberté en parapente est un mythe. Les conditions atmosphériques (vent faible ou modéré, bien orienté etc.) permettant de voler sont en général réunies les jours où la pile de document à parapher dépasse le haut de l'écran de l'ordinateur de votre bureau. Les possibilités géographiques d'évolution me sont en réalité assez restreintes. Je suis ce que l'on appelle un pilote de "bocal". Je reste à proximité du site de décollage et tourne dans les airs en espérant y rester le plus longtemps possible dans un périmètre limité. Je n'ai pas l’expérience suffisante pour décoller d'un point, m'élever très haut dans les airs et partir visiter les massifs sur de grandes distances. Pour m'échapper, voir du pays, il me faudrait encore quelques années de pratique intensive. J'avoue ne pas en avoir grandement envie. J'ai mieux à faire de mes fins de semaine.
La possibilité de séduire les femmes ? Non. Les pilotes sont à une écrasante majorité de sexe masculin. Certes il n'y a pas que les pilotes féminins, il y a les autres filles aussi, celles qui ne volent pas. Hélas, toutes mes tentatives de séduction à base de "Nan mais tu comprends moi je fais du parapente" se sont soldées par un échec. Depuis l'évolution du matériel et la quasi disparition des accidents mortels je ne puis même plus prétendre que je fais un sport dangereux.
C'est reposant et c'est joli ? Non. Il y a deux modes en parapente en fonction des conditions météorologiques :
1/ Le mode pépère dans un air qui ressemble à une mer d'huile (mais il s'agit bien d'atmosphère). Tout est immobile, le parapente et son pilote fendent l'air en une longue glissade du haut de la montagne vers le site d'atterrissage dans la vallée. Dix minutes de descente, 2 h de remontée en moyen motorisé. C'est vite …. chiant.
2/ Le mode sportif dans un air qui ressemble à une mer avec de beaux rouleaux (si vous êtes surfeur) ou formé avec un bon vent bien orienté (si vous êtes un marin). Là oui c'est beaucoup plus intéressant en parapente pour monter, descendre, aller un peu à droite ou à gauche. Mais vous êtes suspendu par des bouts de ficelle à une aile qui ne demande qu'à retrouver la forme de la boule de tissu qu'elle occupait trente minutes plus tôt dans votre sac à dos. Cela demande une intense concentration pour l’en empêcher. Et en plus ça me fout les jetons parce que figurez vous que cela bouge beaucoup là-haut. Imaginez vous accroché(e) à une balançoire avec 500m de vide sous les fesses suspendu par deux accroches au dessus de vous qui ne demandent qu'à partir en voyage à Katmandou ou au Népal. Pas question d'apprécier tranquillement le paysage dans ces conditions.
Cela permet d'avoir une activité physique et sportive saine ? Non. La moyenne d'âge des parapentistes est autour de 35 ans et leur activité préférée après le parapente est la création de récit mettant en exergue leurs exploits aériens plus ou moins imaginaires, plus ou moins véridiques, autour d'une bonne bière. D'ailleurs une de leur caractéristique physique n'est pas une arthrose précoce du genou à force de courir la montagne mais bel et bien une tendance juvénile à prendre du bide en rapport avec l'activité décrite ci-dessus (en tout cas en Alsace…). Un exemple encore ? Le bon site de décollage est un site à moins de 20m d'un parking. Le bon site d'atterrissage est celui qui se trouve à proximité immédiate d'un bar restaurant avec terrasse.
Alors pourquoi donc ?
Le moment intense est pour moi au moment du décollage. Juste avant d’être en l’air, les deux pieds au sol, la pente se trouve derrière moi. Toutes les suspentes qui me relient à la voile sont étalées devant moi. J'ai passé quelques minutes à soigneusement les démêler, j'ai vérifié que le tissu était correctement déplissé. Je me concentre et j'attends que le vent soit régulier ni trop faible ni trop fort, bien orienté. En cet instant tous mes sens guettent, scrutent, analysent cet élément impalpable qu'est le mouvement de l'air autour de moi. Les oreilles écoutent le murmure du vent et le bruissement des feuilles. Les yeux sont rivés sur les arbres en aval du décollage qui annoncent le vent qui vient. Mon regard se porte ensuite sur la voile et ses frémissements. Les mains tiennent délicatement les suspentes avec une légère tension. Une accélération du vent et l'air s'engouffre dans le parapente tendant alors les filins. Avec un peu d'habitude l'on "voit" le vent avec ses doigts. La peau de la nuque entre le casque et le vêtement est à l'affut également du moindre filet d'air. En cet instant la concentration est maximale. Tout l'être est tendu vers le mouvement qui va suivre. Plus rien n'existe dans l'esprit que la sensation du vent et la présence du ciel qui va nous accueillir.
Quand le moment est venu, quand tous les sens m'informent que les conditions sont réunies, je prends ma décision et l'applique. Dos au vent je recule tendant les suspentes, mes mains les accompagnent. La voile se lève devant mes yeux exerçant en une tension d'abord horizontale puis oblique et de plus en plus verticale. En deux ou trois secondes la voile est au dessus de moi. Je reste attentif au vent tout en vérifiant du regard que tout est comme prévu. La traction verticale est maintenant forte, elle est la traduction littérale de ce vent que je sens par tous les moyens que mon corps dispose et que je ne vois pourtant pas. Je me retourne face au vide, la magie s'opère. Mes deux pieds quelques instants auparavant rivés au sol ne reposent que légèrement sur la terre ferme. Une action sur les commandes, deux ou trois pas tout en légèreté et ils ne touchent plus rien. Je me déplace dorénavant par la seule force de l'air, sans effort. Je vole.
C'est cet instant de grâce où l'on échappe à la pesanteur grâce à un grand bout de chiffon qui me fait vibrer. Ce geste est difficile, il doit s'apprendre. Il est dangereux parce qu'il doit être bien réalisé dans un environnement naturel, l'air en mouvement, qui n'est pas le nôtre. Ce geste je l'ai effectué sereinement ou la peur au ventre. Aux cotés d'Olivier et Nadège au Pérou face au lac Titicaca, près de Cuzco, au sommet de l'immense dune de sable de Nazca. Je l'ai réalisé en Savoie lors de mon initiation, au sommet du Pelvoux en haute montagne. En Australie au dessus des forets d'eucalyptus, au bord de falaises bordant des plages de rêves. Je l'ai fait en d’autres compagnies à 4000 mètres d'altitude skis au pied, sur des plages de l'Atlantique, dans les Vosges, dans les Alpes du Sud, près de chez moi à Grenoble. Et partout c'est le même moment de joie, quand le rêve devient réalité. Quand l'homme que je suis rejoint pour un instant, pour quelques minutes ou plusieurs heures, le monde des oiseaux.