Traversée Marquises - Tuamotu

Polynésie Française - Message posté le

Nous partons le 13 mai de Nuku Hiva aux Marquises en direction des Tuamotu. Cette fois nous sommes quatre à bord ce qui nous oblige à adapter de nouveau les quarts de nuit. Cette fois j’ai gagné mon grade d’ancienneté ce qui me permet de m’exprimer un peu plus sur le sujet. 12 heures peuvent se diviser en 4 quarts de 3 heures chacun, au lieu de 2 quarts en équipe de 6 heures chacune.

Des temps de 9h à la suite pour dormir, c’est difficile de cracher dessus, non ? Après délibérations j’obtiens celui du matin, les autres ayant pris le gout citadin de se coucher tard. J’adore voir le lever de soleil sur l’océan.

Les relations avec Delphine s’améliorent chaque jour, de façon incroyable. Je n’aurais jamais cru que cette histoire d’oursins puissent éveiller en elle un sentiment de pitié peut-être ? En tout cas elle a cessé de déverser sa fatigue de l’océan et son mépris du genre humain sur moi. En tout cas l’ambiance est nettement meilleure. Je me sens bien mieux, avoir quelqu’un qui fait la gueule à bord toute la journée est vraiment une situation HORRIBLE au quotidien.

Quand ce n’est pas Delphine, c’est Fred. Il prend la relève en nous étouffant de son anxiété. Depuis que son frère a quitté le bord à cause de Delphine, il n’est plus le même. Il choisit une attitude trop prudente d’éliminer tous risques, mêmes imaginaires, de la vie de bord. La pêche prend un sacré coup. Il parle de « devoir rapporter son bateau en France » et non plus de Voyages, d’aventure, de boucler un tour du monde. On sent que ce n’est plus le plaisir qui le porte, mais les obligations. Nous avons l’un et l’autre des points de vue totalement divergents sur le voyage.

Jour 4. Plus de vent, c’est pétole ! Tout l’océan devient plat autour de nous, un vrai lac ! Quelques petites vagues langoureuses, huileuses balancent doucement le bateau. Je rêve de plonger pour une bonne baignade mythique mais Fred ne veut pas prendre le ‘risque’ « Tu comprends Olivier… ». Non je ne comprends pas. Quel risque franchement ? Aucun vent n’est là pour pousser le bateau, le danger des requins est une légende, nous le savons depuis longtemps… les rêves sont en fait souvent détruits par les peurs des gens « raisonnables ».

A la place, nous mettons le moteur en route. « Puff Puff » nous crache le moteur après quelques heures. C’est la troisième fois de la journée déjà. Fred plonge en salle des machines pour pomper le diesel manuellement. Le moteur repart, puis s’arrête complètement.

Nous analysons ce qu’il se passe. Laurent se souvient d’avoir rempli les derniers bidons avec du diesel douteux provenant d’un voilier russe quelques semaines auparavant. Les filtres sont assez sales aussi. En bref c’est un problème de filtration du carburant.

Nous sommes maintenant au milieu de l’archipel. Fakarava, un des atolls principaux, n’est plus très loin. Nous optons pour nous y rendre en premier lieu, afin de trouver de l’aide sur place.

Parfois viennent se découper sur la ligne d’horizon quelques palmiers nous indiquant la présence d’un atoll très proche.

Devant nous enfin se profile la fameuse passe Garuae au nord de Fakarava. ‘Te Ava Nui’, la Grande Passe, comme l’appellent les paumutus, les gens d’ici. C’est la plus grande de Polynésie.

Nous devons entrer à l’étal, c'est-à-dire au maximum ou minimum de la marée. Autrement nous nous heurterions au fort courant de rentrée ou de sortie de l’eau dans l’atoll. Imaginez une piscine de 120 km² qui se vide…

Deux heures à attendre. Fred se montre impatient et nous allons tâter le courant. Quelques vagues du ‘mascaret’, le courant est sortant, on peut tenter l’affaire juge-t-on ensemble.

Moteur poussé à fond, nous nous engageons dans la passe. La vitesse GPS ralentit doucement mais reste positive. L’ambiance est électrique mais très bonne. Tout le monde est en alerte, le récif dangereux est proche. En plein dans la passe, le moteur fait alors reparler de lui.. ‘Pouf Pouf’...

Fred se met au moteur en un éclair et pompe comme un enragé. Laurent est à la barre et au GPS maintenant le cap. Mais sans l’impulsion du moteur nous nous mettons à reculer vers la haute mer… Je me mets au starter et après quelques essais le moteur reprend enfin gout à la vie. La trace GPS devient chaotique, on dessine du Picasso sur la carte. Puis contre toute attente on s’en sort du bon coté, nous voila dans le plus beau lagon du monde…

Lorsque nous parvenons au village, contre l’avis général Fred décide de minimiser notre séjour sur place au minimum technique et de pointer vers Tahiti pour réparer ce moteur.