Los Penitentes, Andes argentines.

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Les guides du YHI m’indiquent le Cerro Las Llenas, juste derrièere, comme étant facile d’accès, en tout cas sans passages techniques, un gros tas de cailloux en somme.

Culminant à 4250m, l’expérience me tente, ma voile frétille d’impatience au fond du sac. Je ne connais rien des conditions météo du moment, mais si jamais au matin au sommet un grand calme m’invite au vol, soit, je me jetterais dans le grand précipice en toute sécurité. Inch Allah on verra bien!

L’aube. Me voila déja sur le chemin, sac très léger pour aller au plus vite, à peine de l’eau, quelques biscuits et couches d’habits en plus au cas où, et bien sûr la petite voile qui ne demande qu’à respirer à grands coups de thermiques.

Le chien du logis se met en tête de me suivre, et têtu le bougre!

Dans des rafales de 100km/h au col, je dois lui jeter des pierres afin de le dissuader de continuer dans la vire rocheuse plus haut.

“- Faut des pieds et des mains pour ça coco, ton patrimoine génétique ne te permets pas de suivre ton instinct de grand alpiniste, pense à te réincarner en Sherpa tibétain un de ces jours!”, lui explique-je patiemment.

Lui me regarde, puis fonce en avant. Vas-t-en expliquer à un chien le cycle des réincarnations et tout le tralala!

Bien équipé pour ma part, malgré le vent impressionant, je continue après de bonnes hésitations. “Loco pero no tonto!” (fou mais pas bête) me disait-on.

Depuis le col, le chemin est absent et ma route grimpe bien dans les rochers saupoudrés de neige. D’étapes en étapes, pensant à chaque fois abandonner là, je me convaincs chaque fois d’aller jeter un coup d’oeil quelques pas plus loin.

“Pas technique du tout”, tu parles! Il me faut inventer le chemin en grimpant littéralement dans une roche pourrie. Elle se détache en bons blocs.

Le chien ne me suit plus, il a compris et attend surement sa réincarnation en Asie, mais m’attend quelques cinquante mètres plus bas, gémissant et aboyant de tristesse dans le vent de la montagne. Unique compagnon de mon expédition, il me fend le coeur à rester là, jusqu’à ce que je disparaisse derrière la crète sommitale, où il disparait de mon univers et rentre chez lui. Pour lui je suis sûrement disparu à jamais, c’est comme ça les chiens, ils s’attachent trop vite.

Dans ces passages rocheux et glissants, je concentre toute mon attention, il s’agit de ne pas tomber, qui sait quand viendrais les premiers secours?

L’atimètre grimpe peu à peu, au final après un dernier coup d’oeil derrière un rocher, la crête qui mène au sommet se détache du ciel, il y a même un petit chemin à peine tracé, c’est gagné!

Et là, sans prévenir, l’immense Aconcagua se dévoile. Me dominant de 3000m malgré mon altitude à 4100m, il reste là, imposant, aggressé par les vents violents se détachant nettement dans le bleu profond du ciel d’altitude. Wou! Quel spectacle!

Montagne mythique, sommet des deux Amériques, le plus haut point géographique du monde hors-himalaya, je révai de l’escalader, de le survoler, mais les conditions hivernales du moment me l’interdisent formellement.

Aujourd’hui je le regarde, l’admire, le caresse du regard.

Je songe alors à François Bon qui l’année dernière le descendait en ski-parachute par la face sud, la plus vertigineuse, une pointe de jalousie pince mon coeur frustré d’une telle décharge de bonheur-adrénaline, la plus puissante des sensations que je connaisse.

C’est quelque chose de fort d’être donné de poser son regard sur tout ceci, absolument seul, d’être arrivé là par des moyens ‘honnêtes’, en faisant l’apologie de la lenteur, par le vélo, le voilier, la grimpe.

Le monde se découvre mieux à ceux qui se battent pour le découvrir. A comparer avec les foules de touristes débarquant en bus au mirador de l’Aconcagua à son pied, j’éprouve là sûrement une autre gamme d’émotion.

Le spectacle est grandiose, renforcé par la beauté de la région toute autour, faite de rocs et de glaces hérissées, sauvage et isolée.

Je me sens si petit et à la fois mon esprit voyage à toute vitesse par le regard au dessus du relief à travers les immensités aériennes qui séparent chaque montagnes.

La sensation est vivifiante, une sorte de renaissance de l’esprit du voyage me marque en ce lieu si spécial pour moi.

Mon voyage prend une autre forme. Jusque là je m’efforçais d’aller vite, de me surpasser sans prendre vraiment le temps de profiter pleinement. Maintenant je veux prendre plus le temps, profiter du paysage, de ce que la vie peux m’apporter chaque jour.

“- Peut-être que le plus sûr moyen de ne pas perdre son temps serait de le prendre.” disait Claude Marthaler, cycliste suisse au long cours.

Je songe aussi alors à combien peut-être ma décision de partir si longtemps peux possiblement avoir touché ma famille, mes amis. Quelque chose comme une pointe de remords obsurcit l’horizon un instant.

Loin au sud le géant Tupungato culmine à 6635m, d’égal à égal avec mon pote Aconcagua.

4125m pour moi à l’altimètre, le vrai sommet du Llena est à la fois un peu plus haut et beaucoup plus loin.

Je le laisse aux puristes, aux CAFistes comme on dit chez moi (tendance à ne parler des montagnes que par leur altitudes et non par leur beauté. Le sport en montagne perd alors de sa mystique à mon sens.).

Descendre les montagnes en courant à toujours été un bon jeu avec les frangins, surtout dans les pierriers.

Un immense champs de pierre-sable me fait sauter, slalomer comme un gosse sur quelques centaines de mètres.

Une petite pente neigeuse, les fesses sur le sac à dos, je file vers la chaleur du foyer, chez Ana qui m’attends avec un chocolat chaud, et le chien qui aboie mon retour, mi-content de me revoir, mi-furieux de s’être fait larguer.

Je comprends mieux le nom des Pénitents dans la lumière du soir qui illumine une forêt de flutes de pierres sur la montagne en face.

Je valide ici mon “sommet argentin” dans la course des “un sommet par pays”. Celui-ci fut excellent!