Record de distance: 372kms en un jour

Australie - Message posté le

Aout 2008, Espagne, 45e jour de l’aventure. 

Armé de mon seul vélo, je parviens à atteindre 182kms dans la journée accompagné de Geoffray. Fier de ma performance, j’envoie ce résultat à mon frêre Christophe, le vrai sportif de la famille. C’est le début entre nous d’une longue course au record de la plus longue distance parcourue en vélo en une journée, c’est à dire de minuit à minuit. 

Quelques mois plus tard, il m’envoie un court message de France : 202kms, sur son vélo de course, avec un bagage ultra léger. Là je m’agace un peu et un an plus tard, en 2009, côte péruvienne déserte, j’abats un beau 227kms et lui envoie le résultat en pleine poire. Je termine fatigué et fier, pensant lui avoir mis les quelques kilomètres de trop qui lui feront lâcher prise pour un bon bout de temps. Il ne lui faut pas plus de quelques semaines pour m’envoyer un nouveau petit message vicieux : 232kms, à peine 5kms au dessus de moi ! 

Là je m’énerve vraiment et prend la ferme résolution d’assoir à jamais ma suprématie de la cyclostupidité lors de ma prochaine tentative. Il me faudra lui mettre une telle distance qu’il ne s’en relèvera pas de sitôt. Ceci est l’histoire de ce qui advint ensuite…

Il me faut cinq années pour me décider. Je suis alors en Western Australia, la route est immensément plane et droite, le puissant vent quotidien me pousse joyeusement, le corps et l’esprit sont parfaitement entrainés par de longs mois de pédalage intensifs, plus rien ne peut m’arrêter. J’ai choisi cette partie déserte du territoire pour avoir de ‘l’eau à courir’ comme disent les marins, ou bien du ‘béton à rouler’ ce qui serait plus adapté. Plusieurs centaines de kilomètres me séparent de ma prochaine étape. Tout est parfait. J’optimise tout, en bon ingénieur. Je décide de garder tout mon équipement, de ne pas m’alléger afin de rentrer ce record dans mon trip personnel de tour du monde. Pas de triche ! Jamais jusque là je n’avais entendu parler d’un quelconque cyclovoyageur (vélo chargé) ayant dépassé les 300kms dans la journée. Peut-être l’occasion d’une première mondiale ? En tout cas, une bien stupide idée, je vous assure ☺ ! Je souris déjà à la naïveté d’une telle action, m’enchantant de ma liberté de le faire ou non. C’est le jeu qui m’entraine finalement.

Départ à 3h du matin. Je préfère prendre 3h supplémentaires et avoir mon content de sommeil que de tomber misérablement trop tôt le soir venu. Le vent est établi de dos à 20-25km/h et ne tombera que le soir venu pour quelques bouffées timides. Mon excitation est à son apogée, rien ne peut plus me stopper. Mes premiers tours de roue se font dans la nuit d’encre, sans lune. Les roadtrains énormes me passent de temps à autres, je les vois venir de l’infini avec leurs phares puissants.

Kirsten est une femme voyageuse qui me donnait un coup de main quelques semaines auparavant en déposant quelques sacs de vivres le long de ma route. Elle est avec moi ce jour là, jouant d’elle même le rôle de voiture relais. Au matin, je la vois me faire signe à une aire de repos, le café et le petit déj (mon 3e) sont prêts ! Joie du matin, booster énorme dans mes premiers signes de fatigues. J’optimise chaque instant et mange tout en accomplissant méthodiquement mes étirements.

A 8h, je passe les 100kms. Ma moyenne est de 23km/h, je vole littéralement à travers le pays Mon corps et mon esprit sont tout deux en parfaite harmonie pour écraser le frangin du lourd poids de notre détermination commune. A ce rythme mes calculs me donnent 100kms parcourus pour chaque tranche de 6h. C’est à dire 400kms avant minuit. De 300kms, je passe mon objectif à ce nouveau niveau. De plus en plus stupide, j’adore !

A 14h, 200kms s’affichent au compteur, j’ai perdu une heure mais je pouvais me le permettre. Je prends alors mon 5e repas gargantuesque. 

Carnarvon passe comme dans un rêve. C’est l’unique point de civilisation à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde, une vraie aubaine pour me reposer et restaurer mes vivres, mais non je dois le traverser les yeux fermés, la laisser derrière dans un nuage de souvenirs, je suis bien trop pressé ! 

Sur une aire de repos, se repose comme il se doit un homme étrange. J’ai entendu des bribes de sa légende personnelle dans une roadhouse quelque part. Mike Pauly, Ozsoulwalk.com , 73 ans, souffrant d’arthrose … marche autour d’Australie ! Je me sens en formule 1 sur mon vélo ! C’est tellement dommage que je le rencontre aujourd’hui, le seul jour où je ne peux me permettre plus de 20mins pour partager avec lui, une éternité dans cette course contre la montre ! Parti de Perth deux mois auparavant, il planifie deux ans pour compléter son tour. Mike lève des fonds pour la recherche contre l’arthrose et la santé mentale. Si vous souhaiter soutenir son projet, visite www.justgiving.com/Mickael-Pauly .

232kms au compteur en début d’après midi et je prends le temps d’une petite pensée au frangin : rétamé ! 

A 19h, j’atteins 300kms. Ca devient sérieux. Le corps émet de multiples signaux de douleurs que je renvoie aussitôt là d’où ils viennent. Démerdez-vous les membres, on est assez occupé comme ça dans la tête ! J’enfile mon deuxième cuissard pour atténuer la douleur aux fessiers. Ca marche un peu. 

La deuxième nuit débute sur une touche amusante. Une voiture s’arrête, intriguée par mes signaux lumineux étranges. En sort Beno, le parfait surfeur du bush australien, avec un grand sourire et deux bières en main, dont une déjà ouverte : la sienne. Il reste complétement éberlué de voir un cycliste si loin de tout, et m’offre en bon australien, une bière (« no thanks, I’m on a mission ! »), de l’eau (no), de l’aide (no), et de la bouffe (YES !). Il sort alors un poulet rôti issu d’on ne sait où, en tout cas plus que bienvenu, un des meilleurs moments de ma vie ! Avant que je ne file de nouveau dans la nuit d’encre, ne perdant aucune minute, il me lance une invitation dans sa maison de Coral Bay où il fait guide de kayak sur le récif corallien. 

Maintenant je me bats pour chaque tranche de 10kms. Kirsten que je revois au soir, insiste pour m’inviter à diner et que j’abandonne ainsi ma folle tentative : « tu as assez roulé ! » me lance t elle. Mais c’est ma liberté de rouler, d’être fou, et j’épouse tout à fait ce concept, même aux prix de quelques douleurs passagères et d’un repas loupé. Nous nous reverrons de toutes façons. Le sommeil m’envoute de ses chants de sirènes, je lui colle les musiques les plus énergétiques en guise de tampons de cire. Rock’n’roll, l’intro de Pulp Fiction en mode repeat, techno, punk, et même quelques podcasts favoris pour occuper l’esprit. Mais le corps insiste, il faut DORMIR ! Je laisse alors un œil dormir, l’autre à peine éveillé, des périodes de micro sommeil me poussent hors de la route, je m’éveille à chaque fois juste à temps pour rattraper la trajectoire. A 360kms, je me dis à moi même : encore 10kms et je jure que j’arrête. C’est le seul moyen de récolter assez d’énergie mentale pour le faire. Seul la récompense du repos dans un délai court apporte au corps la motivation du dernier coup de collier. J’atteins là ma limite. Si la motivation originelle eût été de sauver une vie, ou une énorme récompense qui puisse changer le cours de ma vie ou de celle d’autrui, peut-être aurais je pu trouver quelques forces qui m’auraient conduit plus loin. Mais avec pour seule motivation d’aller le plus loin possible en 24h, c’est là ma limite absolue, en tout cas avec 60kgs de vélo+bagages. Maintenant je connais cette limite. Et cela est bon.

A 370kms, je cherche un coin pour camper, un panneau émerge alors du néant comme une divine récompense : « 24h rest area - camping gratuit – 2kms ». Je m’effondre alors à 22h30. 

Totaux : 372.70kms en 16h22min à 22.6km/h avec 60kgs de vélo+equipment. Route droite, plane, vent arrière de 25km/h les ¾ du temps. 3 petits déjeuners, 5 déjeuners et 3 diners pris sur la route. Impact majeur: un grand sourire stupide gravé sur le visage et un frangin qui va avoir mal aux fesses à essayer de ma battre!