Vol au-dessus des laves

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L’île de Tanna est réputée pour son volcan Yasur en constante activité et pour être le plus accessible au monde. A 400m d’altitude et quelques 15kms de notre bateau, nous marchons une petite journée pour y parvenir, délaissant la solution locale ‘classique’ de passer par un guide et 4x4. La piste nous enchante par sa végétation luxuriante et ses villages de natifs particulièrement beaux. Les cases en durs forment une exception rare, les autres en bois et murs de feuilles de cocos ordonnent la majorité du paysage urbain.

La planète Terre parle maintenant de toute sa voix directement à nos corps sensibles. Les explosions sourdes secouent le sol, rejettent fumées, gaz et cendres qui nous retombent dessus en pluie sèche. Des fumerolles chaudes sortent du sol le long du chemin comme une haie d’honneur aux condamnés. 

Etrangement un large parking s’étend au pied même de la dernière petite montée. Voilà qui fait une suite logique à l’entrée à 30€/p en début de route. Apparemment les millions engrangés chaque année depuis dix ans n’ont pas trouvé de propriétaire accepté par tous, trois tribus se disputant le terrain. Alors notre pécule file comme tant d’autre inutilement sur un compte bloqué qui attend de trouver une solution à ce problème cornélien.

En tous les cas, voilà une parfaite aire de décollage ou d’atterrissage. Une cassure de terrain offre une quinzaine de mètres de jeu avec un vent de face légèrement trop faible pour rester en l’air. D’après les informations glanées sur la toile, personne n’aurait jamais volé sur ce volcan. Un premier micro vol me donne une idée de ce que ça pourrait être depuis un point plus haut... et donc plus dangereux, c’est à dire le bord même du cratère !

Tout en haut, une fois la dernière crête passée, le regard s’abime dans les profondeurs de l’enfer géologique. Les explosions surgissent maintenant devant nous, bien canalisées à la verticale pour le bonheur de notre sécurité. Le son est terrifiant, incroyable ! J’imagine aisément comment les tribus natives pouvaient croire en l’incarnation d’un dieu en voyant de telles choses.

Une toute petite zone est assez propre pour ouvrir la voile à moitié. Avec une violente explosion derrière, je monte ma voile d’un coup, et m’élance sur le flanc du volcan grondant, fonçant droit vers là  ou il n’y a pas de lave brûlante, de feu et d’explosions !

J’atterris trois minutes plus tard sur le sol chaud encerclé de fumerolles. Je viens de me faire mon tout premier vol sur un volcan en éruption ! What’s next ?

Nous restons des heures dans la nuit à admirer les arabesques de laves rouges vives explosant jusque plusieurs centaines de mètres au dessus, retombant précisément là d’où elles sont venues. 

Le jour suivant, nous trouvons un chemin alternatif, magnifique et gratuit pour voir le cratère depuis l’autre coté. Nous marchons à travers la plaine de cendre au nord et grimpons la forte pente de poussières noires. C’est une difficile ascension qui nous prend une demi-heure en donnant tout ce qu’on a. C’est le chemin que prennent les ‘local people’ et nous arrivons sur un point plus haut sur le cratère, donc renvoyant d’autant mieux le bruit assourdissant qui en sort. 

Pour ceux qui prennent ce chemin, soyez sûr cependant que le volcan ne soit pas en état d’alerte 3 ou supérieure et que le vent ne vous pousse pas cendres et bombes sur la tête. 

Au sommet, la dune de cendre s’arrondit offrant une zone de décollage idéale. Espérant oublier que des bombes atomiques explosent de minutes en minutes derrière moi, je me prépare aussi calmement que possible au vol. Adrien se tient debout derrière la voile pour parer à une saute éventuelle de vent qui m’emporterait dans le cratère. Ce qui serait plutôt embarrassant je dois dire…

Une fois en l’air, de sourds grondements se mêlent aux pierres brûlantes montant hauts dans le ciel derrière moi. Je me concentre sur les mouvements que peuvent engendrer l’énorme thermique à quelques centaines de mètres à peine. Mais rien d’étrange ne se produit et je peux profiter allégrement du petit vent régulier venant de l’est, dans un soaring dunaire au dessus d’un lieu incroyable. Je joue une bonne heure et partage même ce bonheur avec quelques enfants s’accrochant à ma sellette pour quelques secondes de vol proche du sol.

Un moment donné, un thermique m’emporte à une belle hauteur d’où je peux admirer la lave sauter bien au-dessus dans le ciel, assez loin derrière cependant pour me donner la possibilité d’écrire ces lignes.

 

Adrien raconte :

Suite à notre passage à Maré, vient enfin le grand moment, nav de 140 milles (environ 250 kms) pour changer de pays. 36 heures estimées avec survol à 6 000 m d’altitude au-dessus d’une faille océanique. Nous débarquons en temps et en heure, fatigués, à Tanna, notre première île vanuataise.

Yasur gronde jour et nuit, nous voyons depuis notre mouillage ses sautes d’humeur, énormes nuages noirs s’élevant au-dessus de nos têtes et recouvrant Odyssée de cendres. 

Le débarquement nous fait un choc : Port Resolution est une tribu d’outre temps, pas d’électricité, pas de route ni béton, juste des cases en bois, des enfants jouant partout et des habitants tout sourire sous une végétation luxuriante… Nous sommes conquis ! Au fil des journées, les rencontres vont bon train, tantôt invités à pêcher, chasser la roussette, visiter les immenses jardins, apprendre leur cuisine et leur culture, la vie y semble douce malgré ce volcan qui menace. Nous nous y rendons à pied à une quinzaine de kilomètres de là et arrivons dans l’après-midi au pied du cône. Le sol vibre à chaque explosion. L’angoisse monte.

Nous voici maintenant sur le bord du cratère, avec la lave en contrebas. Niveau sécurité, seul un panneau est écrit : « think safety », sans aucune barrière… Merci du conseil !

Soudain une explosion plus grosse que les autres envoie de la lave bien au-dessus de nos têtes, c’est la panique !!!

Les cailloux en fusion retombent droit dans le cratère. Ouf, ce doit être normal. Les détonations se succèdent, grosses comme mille feux d’artifice et bruyantes comme 200 discothèques au moins !

Nous nous asseyons au bord du cratère pour profiter du spectacle, toujours un œil sur les projections de lave. La nuit tombe, les touristes arrivent en 4x4, les couleurs s’allument, le ciel s’embrase au rythme du grondement du Yasur. L’obscurité est maintenant bien établie, les touristes repartent, nous restons là, assis dans l’éphémère silence de la nuit devant un spectacle inoubliable de tant de puissance et de majestuosité.

Une semaine s’est écoulée. Le vent revient, le signal pour nous de mettre les voiles. Nous remercions mille fois les habitants qui sont aussi tristes de nous voir partir que nous de les quitter. On nous propose même de nous construire une case pour que l’on puisse rester. Qui sait, peut-être une prochaine fois ???

Coutume devant le chef, cadeaux pleins les bras et 20 kgs de fruits et légumes plus tard, nous revoilà sur Odyssée qui s’ennuyait de la mer, couvert sous un tas de cendres froides.