Paralpinisme

France pause - Message posté le

Mon pote Sébastien, aussi connu sous le nom de “Jojo”, ne veut rien de moins que passer quelques semaines à randonner ensemble en aout. 

Je suggère de tenter un concept « rando–vol » adapté. Au contraire du « vol-bivouac », l’idée consiste à marcher, randonner, suer, grimper tant qu’on peut, et porter tout petit au fond du sac la voile la plus légère possible. Ce n’est que SI les conditions sont propices, rassurantes, idéales même qu’ALORS nous pourrions déployer nos ailes et nous envoler pour redescendre. C’est simplement, avec modestie et prudence que nous abordons la pratique sauvage. Une excellente approche pour débutant en fait. Considérant notre « faible » niveau de pratique commune, et ne voulant prendre aucun risques, nous ne nous orienterons pas vers de longs vols en altitude, mais préférerons de courts vols de proximités, à jouer avec le relief rassurant.

Notre terrain de jeux se nomme Chambeyron, dans l’Ubaye. Nous prenons cinq jours d’autonomie et un couple de vieux potes avec nous, Mathias et Zoé. Des non-volants, mais des super-héros de l’amitié. Pour les ailes, ma voile Ultralite 23 étant trop poreuse, nous prenons la voile ‘classique’ de Seb et sa mini voile de speed flying de 11m2. C’est très petit et donc très véloce. Elle est normalement utilisée pour décoller avec des skis. Mais lorsque les conditions sont fortes, c’est plus adapté et plus de sécurité à mon gout, la voile étant beaucoup plus solide au-dessus de la tête. En fait je l’adore ! Très simple au pilotage, c’est réellement une extension du randonneur, comme des ailes accrochées au sac à dos.

A l’usage, je laisse en général les autres poursuivre devant et me laisse glisser le long du chemin, passant comme un oiseau à quelques centimètres du sol, jouant de mes bottes de sept lieues comme un chat botté pressé de sa destination. Les autres me regardent avec envie, leurs genoux douloureux de causes Newtoniennes affligeantes ! Je me gausse et rempli le ciel de mon bonheur égoïste. N’avaient qu’à apprendre le parapente après tout… Et puis je les ai emmené voler en biplace l’autre jour.

Après avoir validé le concept ‘speedflying rando’, nous partons grimper le Mont Pelvoux, Ecrins, 3950m. Cette fois ce sont ma sœur Marie et son mec Johan qui nous accompagnent, tous deux fortement expérimentés en alpinisme et autres cuisines exotiques. Durant deux jours nous suons sur nos crampons et piolet à travers le glacier du sommet pour la simple joie d’être ensemble les plus hauts rochers de ce gros tas de cailloux. 

Nous arrivons tard en haut. 9h30. Surprise pour Johan, il n’y a pas un pet de vent en haut. En fait sur les bords ça bouge. L’aérologie à cette heure est complexe à lire. Il est assez tôt pour ne pas avoir de thermiques trop forts et pour encore recevoir le vent adiabatique descendant du glacier. Mais il est assez tard pour ressentir des coups de brise, localement forte aux sommets des cheminées tout autour du sommet.

Seb, Nadège et moi décidons de décoller. Il est le premier, sa large voile l’emportant dans le ciel via le glacier de l’Homme en pente douce. Elle se prépare plus doucement sur la large partie plane du glacier. Mais une traitresse rafale de vent abat sa voile. Elle glisse sur la pente glacée et stoppe là un peu choquée. Elle redescendra à pied avec Marie et Johan, six dures heures de marche.  

Me voilà le dernier, avec ma mini aile de 11.5m2. J’opte pour les Roches Rouges, plus pentues, plus impressionnantes aussi pour décoller. Mais le vent est très variable, rendant le décollage difficile. Je tente six ou sept fois. Marie et Johan stressent un peu, il est tard pour redescendre et ils le savent. Les cailloux se détachent de la glace fondante dans la journée déjà bien chaude. 

C’est maintenant l’ultime essai. Si je rate, je redescendrai à pied…. Course d’élan…. M… c’est loupé ! Je ferme mes yeux, désespéré de l’échec. Et je sens soudain une minuscule brise de face, stable, celle que j’attendais ! Sans hésiter l’ombre d’une seconde je m’élance comme un fou dans le vide, la voile suivant comme elle peut derrière puis au-dessus de moi. Lorsque je disparais derrière le rocher, Marie pleure, elle croit voir son frère mourir juste devant elle. Mais 10m plus loin, filant déjà vers le sol, je suis dans les airs, sentant les courroies de mon sac surchargé me scier les abdos, et je crie de pure joie.

Nous l’avons fait !

Six minutes plus tard, je me crash au milieu du camping d’Ailefroide, avec une belle glissade de plusieurs mètres sur le ventre, mais entier, accueilli chaleureusement par Sébastien. Tout en pensant honteusement à nos compagnons de cordée abandonnés là-haut, nous vidons une belle chope bien méritée !