Traversée de Tonga en Nouvelle Calédonie sur Kamoké

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A peine le pied sur notre nouveau voilier-stop Kamoké, le style de vie change radicalement. Nous sommes sur un ketch de 15m, Gulfstar 50, mené par une famille française avec deux enfants depuis quatre ans, de véritable écumiers des océans du monde.

Pascal et Bénédicte travaillent dans les études environnementales lorsqu’ils ne voguent pas sur des bouquets de mer. Yann et Maëlle, 9 et 10 ans, nous montrent que voyager en famille c’est possible, viable et très positifs pour tout le monde. Avec des noms pareils, nous en déduisons rapidement leurs origines bretonnes qui teintent d’ailleurs l’excellente cuisine du bord.

Le 14 aout, notre premier jour avec eux, les papiers sont réglés rapidement pour entrer et sortir aux Tonga. Un passage de une minute sur le territoire, top chrono. Nous sommes sensés partir de l’archipel ce jour mais nous préférons aller jeter l’ancre pour 24h supplémentaires quelques trois milles plus loin dans le dédale des ilots que compose l’île de Vava’u.

C’est largement préférable pour nous car nous regrettions de ne pas voir du tout les Tongas. Poser quelques heures le pied à terre après sept jours de mer est aussi agréable.

Nous en profitons pour assister à l’une des très nombreuses messes en langue tongan. Les hommes portent le costume traditionnel, une jupe avec une large ceinture tressée en palme. Les femmes portent talons hauts et robe avec une ‘sur-jupe’ de rubans, très esthétique.

Nous adorons la tactique de Kamoké pour le départ. Au contraire de leurs comparses voileux, eux attendent une baisse du vent pour démarrer doucement sans se faire bousculer. A notre instar, ils ont tout le temps du monde; quelle richesse !

Nous partons donc le soir du 15 aout, la nuit est tombée, mais après le diner, nous le sentons bien. Il faut dire que le maitre mot sur Kamoké est : RELAX !

Je ne sais pas si le paradis a un pavillon mais on pourrait l’accrocher sur l’arrière de ce bateau d’aventure.

Les quarts de nuits ont une règle : quand tu te sens fatigué, réveilles le suivant. Fais ce que tu veux pendant ton quart, regardes un film, écoutes de la musique, lit, écrit… tant que tu jettes un coup d’œil tous les quarts d’heures à l’horizon.

Nous nous relayons les quatre adultes dans la nuit.

Chacun cuisine tour à tour, et les résultats sont aux sommets de nos espoirs les plus fous de cyclovagabonds en stand-by : gratin de Crozet savoyards, poisson crus à la tahitienne, pizza, pains fait maison, cuisses de canard confits aux pommes de terre revenues dans la graisse d’oie… et j’en passe.

Le 22 aout marque un jour très spécial pour moi.

Il parait que j’ai maintenant trente ans ! Où es donc le coup de vieux que l’on me décrivait ? Me voila sur un voilier dans le Pacifique Sud, aucun délai ni obligations d’aucune sorte à venir, libre comme l’air et l’impression d’avoir parfaitement empli ma vie de choses bien.

Nous célébrons dignement l’événement à coup de cuisses de canards confites du sud ouest et une bonne bouteille de vin. La journée commençait d’ailleurs merveilleusement par un gigantesque arc en ciel cinglant l’horizon matinal, pour enchainer sur un calme plat pendant lequel nous abaissons les voiles et plongeons dans l’océan cristallin.

Ouvrir les yeux sous l’eau ouvre un abime d’azur, des requins et autres créatures y jaillissent dans mon imagination survoltée. Une belle métaphore du Grand Bleu, avec un joli clin d’œil à Jack Mayol.

Après ça, je veux bien avoir trente ans.

Le vent nous joue de jolis tours. Nous le rencontrons très calme pour la saison, les Alizés semblent absents de la partie et nous jouons des petites brises éparses de secteur Nord Est et Nord Ouest.

Les périodes de calme plat surviennent surtout l’après midi, nous en profitons pour sauter à l’eau tous ensemble. Plus personne sur le bateau… et s’il s’éloignait ?

Nous faisons au mieux en multipliant les manœuvres pour optimiser les allures. Ici au près, là au grand largue, tribord amure pour sauter en bâbord amure. Empannage, envolée du spinnaker, on monte et descend la grande voile, la voile d’artimon, roulons et déroulons le génois…

Pascal est très pédagogue et nous laisse souvent champ libre pour nous exercer.. et lui se reposer, la feignasse ! Je nous sent de plus en plus capable de conduire notre propre voilier dans le futur… Un projet à creuser ?

Je trouve cependant deux défauts principaux à cette façon de voyager : la dépendance extrême vis-à-vis du bateau et les coûts multiples et chers de ce moyen de locomotion.

En somme il faut avoir un minimum de capital d’avance et être un minimum monomaniaque pour accepter de constamment rester avec son bateau.

Entre les îles Hunter et Matthew, nous faisons face à un courant inattendu de deux nœuds de face (nous faisons entre deux et six nœuds sur l’eau avec Kamoké), avec un calme plat. Nous faisons machine arrière, dérivant vers de plus hautes latitudes sujettes aux violents coups de vent d’ouest, bref on va droit vers le pole sud !

La brise Sud-est revient nous arrachant de cette mauvaise posture après quelques heures inquiètes.

Nous ne rencontrons aucune casse sur cette traversée, il faut dire que Kamoké est éprouvé après quatre années de navigation. Ce qui était cassable est déjà cassé et le reste est du solide.

J’aime beaucoup ce bateau. C’est tout le contraire d’un beau bateau reluisant et tout neuf où le moindre geste laisse des traces ; mais tout marche à peu près correctement. Il est vraiment fait pour y mener une vie agréable et confortable.

Notre approvisionnement électrique fonctionne au solaire, à l’alternateur de l’arbre d’hélice (l’hélice tourne entrainée par la vitesse du bateau et produit du courant) et à l’éolienne, donnant assez de jus pour permettre aux enfants deux heures de vidéo chaque soir, ainsi que toutes les dépenses usuelles du bord. Pas de dessalanisateur, nous économisons l’eau mais sans restriction particulières. En somme ces gestes me semblent pouvoir s’appliquer à tout le monde à terre, les économies d’énergie et des ressources seraient énormes au niveau mondiale.

Sur le chapitre pêche, nous nous battons bien avec pas moins de quatre lignes sur l’arrière. L’une d’elle un beau jour attire un énorme Mahi mahi (daurade coryphène) de 20 kgs, dont 10 kgs de filets délicieux. C’est le plus gros poisson qu’il m’ait été donné de voir jusque là. Sa robe brille de bleus et de verts argentés de toute beauté. Quelques minutes après il vire au noir et gris.

Enfin un petit thon rouge de 4 kg vient se mettre droit dans notre assiette, plus frais tu meurs ! Puis les derniers jours, lors d’un passage sur des haut fonds (10m de fond en plein milieu de l’immensité bleue, un anachronisme local) les poissons se jettent littéralement sur nos lignes. Trois bonites, un thazard, des belles pièces qui rassasient complètement nos appétits voraces.

TERRE !

Le cri est lancé le 28 aout au matin alors que nous voyons l’île au Pin apparaitre doucement de l’océan embrumé.

Nous mettrons deux jours pour atteindre Port Moselle à Nouméa en slalomant entre les canaux du plus grand lagon du monde.

Sur le chemin nous verrons plusieurs fois des baleines dont certaines à moins de 100m du bateau et d’autres sautant en l’air de tout leur élan incroyable.

Enfin nous avons mis pied à terre et une nouvelle aventure insulaire peut débuter.

Nadège écrit :

Nous débarquons à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 1 septembre 2010 après 20 jours de mer depuis Tahiti. Cette traversée, fût réalisée dans l'esprit du projet "En route avec aile", c'est à dire en "bateau-stop" et à la voile autant que possible. Le principe du bateau-stop est d'échanger, le temps de la traversée souhaitée, l'hébergement et le couvert contre sa participation à diverses tâches sur le bateau (quarts de jour comme de nuit, entretien, manœuvres et cuisine collective).

Après que le Lady K, voilier de luxe de 24m, nous ai déposé aux Tonga, nous embarquons directement sur le Kamoké, petit voilier familial.

En opposition avec la rigueur professionnelle (mais toujours sympathique) du Lady K, la famille du Kamoké nous accueille dans une ambiance bon enfant : discussions en français (au grand soulagement de Nadège), apéro au coucher du soleil, bonne bouffe, baignades… On est « choc » (traduction de « cool » en calédonien).

Tellement cool qu’au lieu des 7 jours prévu initialement pour joindre les Tonga à la Calédonie, il nous aura fallut treize jours en tout. Le vent n'étant que très rarement de la partie, nous avons, à plusieurs reprise, couché toutes les voiles, celles-ci étant devenues moins utiles que la patience.

Ces moments de calme, où la mer se lissait comme de l'huile, permettaient à l'équipage de prendre un bain dans la plus grande baignoire du monde.

D’ordinaire, il est très dangereux de quitter un navire avançant même à faible vitesse, pour peu que celle-ci soit plus grande que la sienne à la nage. Il est arrivé que des navigateurs inexpérimentés se retrouvent sans bateau au milieu de l’océan (je vous laisse imaginer leur fin terrible).

Il faut aussi savoir que la plupart des voiliers ne sont pas équipés de désalinisateur d’eau de mer. L'eau douce est alors réservée presque exclusivement à la boisson.

Il n'y pas non plus, en général, de système de douche. Le lavage corporel se fait donc sur le pont grâce à un seau que l'on jette par dessus bord pour récupérer l'eau de mer. Se couvrir de savon sur un pont bringuebalant, requiert une certaine concentration pour ne pas tomber par-dessus bord. Il apparait ainsi beaucoup plus confortable et ludique de se laver directement dans l'océan alors que le bateau est (pratiquement) immobile.

Dans un registre plus poétique, se baigner par 5000m de fond est une grande expérience. Descendre vers les fonds infiniment obscurs, dans la profondeur du bleu, puis regarder vers le ciel. C’est un vaisseau volant qui apparait, autour duquel s’agitent quelques paires de jambe nues. Vision toute droit sortie d’Un château dans le ciel…

Malgré la beauté de ces moments, nous ne souhaitions pas rivaliser avec Ulysse quand à la longueur de cette odyssée. Heureusement pour nous, Eole nous accorda quelques poussées jusqu'à 6 nœuds (équivalent 11 km/h environ). Le Kamoké, comme animé d’un souffle de vie, paraissaient alors sauter sur les vagues, tout joyeux qu’il était de se réveiller après un long et ennuyeux assoupissement.

A cette « folle » vitesse, les appâts que nous trainions, semblaient reprendre vie eux aussi, imitant admirablement le calamar en fuite. A tel point, que plusieurs carnivores aquatiques n'y résistèrent pas, à la plus grande joie des papilles de l'équipage.

A l’heure du bilan, au port Calédonien, cette vingtaine de jours passés en mer fut fort agréable en comparaison avec ce qu’avait vécu Olivier dans ses précédentes traversées.

Cependant, nous sommes ravis de enfin poser le pied à terre et même presque en famille. Suite au prochain numéro.